Kakimbo, la forêt qui agonise dans l’indifférence

Au cœur de Conakry, entre les tours jumelles de Kakimbo et le chantier du Conakry Mall, se meurt lentement l’un des derniers bastions de biodiversité de la capitale : la forêt de Kakimbo. Jadis refuge verdoyant, poumon écologique et sanctuaire de nombreuses espèces, elle n’est plus aujourd’hui qu’une ombre étouffée par une urbanisation galopante et incontrôlée. Au fil des années, sa superficie s’est drastiquement réduite, rongée par les constructions et les lotissements sauvages. Cette forêt abrite pourtant la tête de source de la rivière Kakimbo, un cours d’eau vital qui, après avoir serpenté sous les rails de Rusal et traversé les bas-fonds jusqu’au pont de Kakimbo, se perd dans les mangroves avant de rejoindre la mer. Mais cette rivière, comme la forêt dont elle tire vie, est asphyxiée, envahie par les habitations jusque dans son lit. Ce n’est plus qu’un filet d’eau pollué, témoin silencieux d’un désastre écologique annoncé. Au fond de ce qu’il reste du massif forestier, coincé entre béton et poussière, des activités suspectes prolifèrent. Si quelques familles continuent d’y cultiver de petites parcelles sur les flancs des collines, d’autres se livrent à une pratique aussi dangereuse qu’illégale : le brûlage de pneus pour récupérer les fils de fer. Chaque aube, une épaisse fumée noire et acre s’élève au-dessus de Koloma, couvrant le bas-fond d’un voile toxique. L’air devient irrespirable, saturé d’hydrocarbures, de particules fines et de métaux lourds. Pourtant, les habitants, installés sur le lit même de la rivière, ignorent les risques qu’ils encourent à respirer ces émanations mortelles. Dans ce paysage désolé, une lueur d’espoir subsiste : celle des fleuristes installés en amont, sur la descente de la colline menant à l’échangeur de Bambéto, face au ministère des Postes et Télécommunications. Leur activité, à la fois esthétique et écologique, rappelle que la nature peut encore coexister avec la ville — si tant est qu’on lui en laisse la chance. Mais combien de temps encore Kakimbo résistera-t-elle ? Comme la forêt d’Entag ou celle de Demoudoula, dont le nom évoque autrefois la présence joyeuse des singes, Kakimbo s’éteint dans l’indifférence générale. Là où d’autres nations ont su concilier modernité et respect de la nature, développement et préservation, Conakry semble, elle, avoir choisi de sacrifier ses derniers poumons verts sur l’autel du béton. Kakimbo ne meurt pas seulement en silence. Elle crie, étouffée, oubliée, appelant encore, peut-être pour la dernière fois, à la conscience collective. Karamo Condé Synergie pour l'exploitation durable des ressources naturelles en Guinée (SYGED-RNG)